LA POPULATION:
Les sept
wilayas qui englobent le périmètre
Thenia - Sétif - Jijel totalisent une population de près de six millions de personnes dont, suivant les estimations, de trois à trois millions et demi de kabylophones. La densité démographique est forte pour une région à dominante montagnarde et rurale. Elle atteint même 375 hab./km
2 dans la
wilaya de Tizi-Ouzou, où se rencontrent pourtant les altitudes les plus élevées. Le phénomène n'est pas nouveau et il frappa particulièrement les colonisateurs français. Il est d'autant plus original que la taille des centres urbains de la région est longtemps restée limitée, le village étant traditionnellement la forme principale d'agglomération.
La question de l'origine de ces hautes densités montagnardes divise encore les historiens. Aux extrêmes s'opposent la thèse d'un peuplement dense très ancien, antérieur à la présence romaine, et celle d'un afflux tardif, consécutif à l'arrivée des Arabes. Toutefois un relatif consensus se dégage sur plusieurs points. Pour commencer, une distinction semble s'imposer, pour l'ensemble de
l'Afrique du Nord, entre un premier peuplement
berbère, « paléo-montagnard », caractérisé par la pratique des cultures en terrasses, s'étendant progressivement depuis les Aurès et l'Atlas saharien jusqu'aux Hautes Plaines ; et un second, « néo-montagnard », ignorant la technique des terrasses et propre aux massifs du Tell : c'est à cette dernière vague, plus tardive, que l'on rattache les premières populations de Kabylie.
La présence de populations dans l'ensemble de la région, dès l'époque romaine au moins, paraît également attestée, le seul point encore en débat portant sur le peuplement du territoire relativement restreint, mais aussi le plus densément peuplé, que constitue le massif Agawa. Enfin, il est généralement admis que ce peuplement initial s'est trouvé accru, à partir du
Xe siècle, de l'apport de populations d'agriculteurs menacés par le processus de pastoralisation des plaines puis, à partir du
XIVe siècle surtout, par les prélèvements fiscaux du
makhzen. De plus, les traditions locales paraissent corroborer l'hypothèse d'une dualité historique du peuplement kabyle.
LA LANGUE:
Les
Kabyles font partie des
Berbére (Imazighen). Leur langue, le
kabyle (
taqbaylit), est une variété du
berbère (
tamazight). Elle compte un nombre important de locuteurs en dehors de Kabylie, de l'ordre de deux à deux millions et demi, dans le reste du pays (notamment à
Alger où ils représentent une forte proportion de la population) et à l'étranger (principalement en
France où ils seraient près d'un million de personnes, mais aussi dans le reste de l'
Europe et au
Canada). On peut estimer à cinq millions et demi le nombre total de berbérophone, ce qui en fait le deuxième groupe berbérophone dans le monde, après les
Chleuhs du
Maroc.
Le territoire de la Grande Kabylie compte peu d'arabophones. En revanche, Basse et Petite Kabylies ont été davantage arabisées. Le processus est ancien en Basse Kabylie, où il remonte à la période ottomane. À cette époque, des terrains de la région furent concédés à quelques familles d'origine turque ou arabe ainsi qu'à la tribu des
Iamriwen, constituée d'aventuriers et de proscrits des autres tribus kabyles. En même temps que la garde et l'usage des terres de plaines, ils recevaient de leurs commanditaires un cheval avec la charge de tenir en respect les populations avoisinantes. Leur contrôle s'étendit jusqu'en Haute Kabylie, sur toute la moyenne vallée du Sebaou : là comme dans les basses plaines, le makhzen se montra un puissant facteur d'arabisation. Toutefois on a assisté depuis à une rekabylisation partielle de ces territoires.
En Petite Kabylie, le kabyle était encore majoritairement parlé au
XIXe siècle jusqu'au-delà de l'Oued el Kebir. Si Jijel et ses environs étaient déjà arabisés, vers l'intérieur il n'y avait pas encore de rupture territoriale entre les parlers kabyle et chaouïa. Le Guergour est à moitié arabophone, le Ferdjioua en totalité. Dans l'est algérien, l'expression de
Kabyles el hadra a été créée pour désigner les montagnards arabisés du Nord-Constantinois.
En Grande Kabylie et dans la partie de la Petite Kabylie où le kabyle prévaut, il est la langue maternelle et quotidienne de la presque totalité de la population. Là où populations kabylophones et arabophones sont en contact, un bilinguisme kabyle
-arabe algérien est pratiqué de part et d'autre. À
Béjaïa et à
Tizi-Ouzou, où la population urbaine traditionnelle était majoritairement arabophone, l'exode rural qui a suivi l'indépendance a généralisé la diffusion du kabyle. Quant à l'arabe litterale, son emploi est cantonné au système d'enseignement et aux administrations de l'État central. En pratique, c'est plutôt le français qui est employé pour les usages écrits ou savants et, de façon presque exclusive, dans le commerce et la publicité.